(Cela fait 3 points à vérifier pour qu’une proposition soit acceptée par le Conseil. Et il ne semble pas exister de justification raisonnable de ces règles).
Bien que ce système soit simplifié et retire un peu de pouvoir aux pays à forte population par rapport au Traité de Nice, il a encore des défauts. Les gros pays (grande population) gardent un pouvoir de décision plus fort que les autres et les petits pays gagnent un pouvoir de décision disproportionné par rapport à leur taille. Ces effets combinés diminuent l’influence que peuvent avoir les pays moyens comme la Pologne ou l’Espagne.
Selon l’article des auteurs, il est possible de définir un système de vote sans ces défauts, dans lequel chaque citoyen de chaque état membre aurait le même pouvoir pour influencer les décisions prises en leur nom. Le système proposé est transparent, facile à mettre en oeuvre, efficace et gère sans problème l’ajout de nouveaux pays à l’Europe.
Les inconvénients inhérents au système de vote tel que celui de la Constitution Européenne sont connus depuis 1952 grâce au psychiatre et mathématicien Lionel Penrose (le père du physicien Roger et du mathématicien Olivier). Penrose a montré qu’un tel système favorisait les gros pays.
Penrose a envisagé un système plus juste fondée sur la loi de la racine carrée. Il a remarqué que lors des élections des représentants politiques dans un pays avec une population de taille N, un citoyen votant dans un gros pays a moins d’influence sur le résultat du vote qu’un citoyen votant dans un petit pays. Puisqu’un vote individuel particulier ne peut changer le résultat de l’élection que dans le cas d’un équilibre entre les différents représentants, le « pouvoir de vote » (ma traduction de « voting power« ) d’un citoyen doit être proportionnel à la probabilité qu’une telle configuration (d’égalité entre les parties) se produise. En prenant pour hypothèse que les votes ne sont pas corrélés, Penrose a calculé que cette probabilité est proportionnelle à , l’inverse de la racine carrée de N (la taille de la population).
Dans le cas de l’Europe, le gouvernement élu nomme ensuite un ministre pour voter au nom du pays dans le Conseil des Ministres, où le système de vote devrait idéalement représenter les vues de chaque citoyen européen de façon égalitaire quelque soit sa nationalité. Il s’ensuit que le poids du vote de chaque pays devrait être proportionnel à la racine carrée de sa population, afin de compenser le facteur inverse de la racine carrée de N.
La loi de la racine carrée de Penrose a été proposée comme base d’un système de vote pour le Conseil des Ministres en 1998 par Annick Laruelle de l’Université Catholique de Louvain en Belgique et Mika Widgren de la « Turku School of Economics and Business Administration » de Finlande.
Cependant, cette loi de Penrose affectant un poids au vote d’un pays n’est pas suffisante, car elle ne garantit pas que le pays peut exercer son pouvoir dans la prise de décisions. Un contre-exemple simple est donné avec deux pays ayant respectivement un vote pesant 51% et 49%, et un système qui adopte toute proposition s’il y a une simple majorité de votes (majorité qualifiée à 50%). Le pays ayant une voix pesant 51% gagnerait à chaque fois. Il aurait un pouvoir de vote de 100%. Il est donc nécessaire de distinguer entre pouvoir de vote et poids d’un vote. Un tel cas s’est produit (pendant 15 ans !) dans l’ancienne CEE : le Luxembourg avait un vote qui semblait représenter un poids plus lourd que ne le méritait sa petite population, mais malgré cela, son vote n’avait strictement aucune influence sur les décisions prises. Son pouvoir de vote était de 0. Autrement dit, aucune alliance de pays n’avait besoin du vote du Luxembourg pour faire pencher la balance de son côté.
Pour généraliser, un pays a du pouvoir de vote lorsque son vote peut être décisif en cas de ballottage. Ce concept peut être formalisé en considérant toutes les coalitions possibles dans lesquelles un pays peut prendre part. Le pouvoir de vote est défini numériquement comme la proportion de coalitions dans lesquelles le vote d’un pays est décisif. Cette proportion a été trouvée indépendamment par Penrose en 1946 et par l’américain John Banzhaf en 1965, et est connue sous le nom d’index de Banzhaf.
Les 25 états de l’Union Européenne peuvent former plus de 33.5 millions de coalitions (ce sera 4 fois plus avec la Roumanie et la Bulgarie). Pour un choix de poids et une règle de majorité qualifiée donnés, il est possible de calculer les cas où un pays a un vote décisif pour chacune de ces coalitions. En d’autres mots, le pouvoir de vote d’un état, mesuré par l’index de Banzhaf, peut être calculé.
Le compromis jagiellonien.
Sachant calculé le pouvoir de vote de chaque état pour chaque système de vote, les auteurs ont cherché un système qui distribue ce pouvoir selon la loi de Penrose.
En 2004, un des auteurs a proposé un système fondé sur un seul critère : le poids d’un vote d’un état membre doit être proportionnel à la racine carrée de sa population et la décision est prise si la somme des poids des pays votant en sa faveur dépasse 62% du poids total. Ce système est très simple, mais les auteurs se sont posé la question de savoir d’où venait ce seuil de 62%. Ils ont calculé la façon dont varie le pouvoir de vote (l’index de Banzhaf) en fonction de ce seuil et ont observé un « point critique » : lorsque la majorité qualifiée s’approche de la valeur de 62%, le pouvoir de vote de chaque pays devient égal au poids du vote indépendament de la taille de sa population. A ce seuil, le pouvoir de vote est donc égal à la racine carré de la population.
La loi de Penrose est donc respectée et chaque citoyen a le même pouvoir de vote, avec un système de vote plus simple que celui du TCE ou du Traité de Nice. Par ailleurs, tout élargissement de l’Europe conduit à recalculer le seuil de la règle de la majorité qualifiée. Par exemple, il serait de 61.4% pour une Europe à 27.
Le système proposé par ces auteurs a fortement intéressé les experts de la théorie des votes et a été appelé « compromis jagiellionien » par les media. Avant le sommet européen à Bruxelle en juin 2004, une lettre ouverte en faveur de ce système de vote pour le Conseil des Ministres soutenue par plus de 40 scientifiques dans 10 pays européens a été envoyée aux institutions européennes et aux gouvernements des états membres.
La réaction des politiques a été diverse, mais a plus dépendu de la façon dont le pays concerné été affecté par le partage des votes que des critères universels tels que la simplicité et l’objectivité. Quand un système semblable a été mis en avant par les diplomates suédois en 2000, le premier ministre suédois Göran Persson a dit « Notre formule a l’avantage d’être facilement comprise par l’opinion publique et pratique à utiliser dans une Europe élargie… C’est transparent, logique et loyal. Peut-être que c’est pour cela que ça ne plaît pas à tout le monde. » Le précédent premier ministre irlandais John Burton a aussi fait un grand nombre de louanges aux système de vote fondés sur la loi de Penrose et le compromis jagiellonien a été soutenu par plusieurs politiques en Pologne et a été étudié par des chercheurs du gouvernement anglais en 2004.
Le compromis jagiellonien offre aux futurs négociateurs un système simple, mais objectif fondé sur des principes rationnels qui garantissent un même pouvoir pour tous les citoyens d’Europe.